Chronique #1: L'entretien
Chronique #1: L'entretien

Toutes ressemblances avec des protagonistes ou des faits réels seraient bien évidemment fortuites.

Il est là, ça y est tu le tiens : ton 1er entretien (et celui que tu espères aussi être, si possible, le dernier). Après des semaines à postuler à tout va sur l'ensemble des annonces qui t'ouvriront les portes du Nirvana professionnel sur des sites aux titres plus ou moins évocateur que Jobteaser, Fashion Jobs, Yupeek et compagnie, Vanessa du service RH, responsable du recrutement des stagiaires (elle-même membre de cette caste très fermée) a enfin daigné quitter la machine à café et Sandrine de la compta, pour décrocher son téléphone et composer ton 06. Une conversation insipide s'ensuit pour convenir d'un rendez-vous "dans nos locaux à Paris" la semaine suivante (futé comme tu es, tu t'es normalement arrangé pour que ça tombe en plein milieu de ta plus grosse journée de cours), et là tu commences à comprendre que t'es de retour dans le game. Tu te rends donc d'un air guilleret, le pas léger et ton plus beau costume de salarié sur les épaules au siège de la boîte qui a été sensible aux nombreuses conneries racontées dans ta lettre de motivation et à ton profil hors-norme...complétement banal.

Arrivé devant l'imposant édifice ayant pour objectif d'incarner la puissance de l'entreprise, tu commences déjà à t'y croire, à respirer les effluves des millions de dollars que tu vas engranger et qui vont te payer tes vacances aux Baléares dans 1 an, tes restos avec tes plans Tinder (grand prince quand même !) et tes innombrables cuites avec tes potes. Le sourire hollywoodien jusqu'aux oreilles, tu demandes à la charmante hôtesse d'accueil, dont le décolleté pigeonnant s'avère être une invitation à venir s'y nicher, de contacter la personne avec qui tu as rendez-vous alias Jean-Michel Responsable. Elle te remet au passage un badge Visiteur pour pouvoir pénétrer dans les entrailles du bâtiment. Il vient te récupérer, son petit carnet sous le bras histoire de noter toutes les âneries que tu vas balancer et les répéter au mot près à ses petits camarades de jeu (oui sans même le savoir t'es déjà une bête de foire!). Commence alors pour toi, candidat plein d'espoir, le parcours du combattant dans les dédales des couloirs plus ou moins accueillant. Tu atterris dans une petite salle exigüe où peut débuter ton interrogatoire digne de la Gestapo "Nom, prénom, matricule, mensurations, êtes-vous communiste ?...". Et là tu ne lésines pas sur les moyens car tu sors l'artillerie lourde : tu déballes toute ta science, tu racontes que t'as sauvé la moitié du Mozambique en construisant un bout de mur pendant 2 mois ou encore que tu as évité la liquidation judiciaire à la boîte où tu as effectué ta précédente expérience grâce à une idée révolutionnaire tout droit sortie du cerveau de tes anciens collègues. Mais le must, c’est quand tu expliques ton parcours dans le domaine associatif qui t'a, bien évidemment, permis d'acquérir des compétences professionnelles. (Je vois déjà ton nez s'allonger Pinocchio !)

Ce qui est fou c'est que lorsque tu lisais l'annonce, tu avais l'impression que tu allais te retrouver trader, chef de produit, consultant, category manager, tourneur fraiseur (pourquoi pas...) ou directeur général d'une boîte du CAC 40. Mais une fois que Jean-Michel Responsable a commencé à t'expliquer avec passion toutes les facettes de son métier il faut bien comprendre une chose: TOI petite merde de stagiaire tu ne toucheras même pas avec les yeux tout ça car c'est SON boulot ! Arrive le moment fatidique pour toi où enfin t'as le droit d'en placer une, tu lances donc une 1ère question dont la réponse t'indiffère complétement puis tu t'autorises enfin à poser à demi-mot celle qui t'intéresse vraiment "Qu'est-ce que ça voulait dire dans ta putain d'annonce, gratification : selon profil ? Y a intérêt à ce qu'il y ait au moins 3 zéros !". Une fois le montant pas très astronomique annoncé, en bon apprenti Madoff que tu es, tu cherches déjà toutes les entourloupes possibles pour faire passer en notes de frais tes dépenses persos afin d'arrondir les fins de mois.

Après cette conversation des plus sympathique, Jean-Michel Responsable te raccompagne à la sortie te signifiant qu’il te recontactera (ou non). Tu remets à l’hôtesse ton badge et elle en profite pour te glisser que ta chemise et ta cravate ne vont pas du tout ensemble (Tu t'es regardé connasse avec ta veste jaune canari et ton chemisier bleu de catin !). Tu quittes donc Guantanamo en lui jettant un dernier regard noir pour te retrouver dehors, libre.

Et bien il ne reste plus qu’à attendre le coup de fil pour la réponse…

Allez bonne chance hein !

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